Les “baisses d’impôts décidées depuis sept ans” ont-elles aidé “beaucoup de Français”, comme l’assure Michel Barnier ?

Le Premier ministre a fait l’éloge des réformes fiscales mises en place depuis l’élection d’Emmanuel Macron. Ces mesures ont profité à l’ensemble des ménages français, mais elles ont particulièrement favorisé les plus aisés.
Le Premier ministre, Michel Barnier, prononce sa déclaration de politique générale devant le Sénat, à Paris, le 2 octobre 2024, après l'avoir fait à l'Assemblée nationale la veille. (THOMAS SAMSON / AFP)

Suppression de la taxe d’habitationdisparition de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), mise en place d’un prélèvement forfaitaire unique (PFU) sur les revenus du patrimoine… Ces réformes fiscales décidées depuis le début de la présidence d’Emmanuel Macron ont-elles été bénéfiques pour un grand nombre de contribuables français ? C’est ce qu’a soutenu le Premier ministre, Michel Barnier, lors de son discours de politique générale, mardi 1er octobre, à l’Assemblée nationale. “Les baisses d’impôts décidées depuis sept ans (…) ont aidé (…) beaucoup de Français, beaucoup d’entreprises, et redonné de l’oxygène dans une situation inédite et grave”, a assuré le chef du gouvernement, évoquant notamment les conséquences de la crise sanitaire liée au Covid-19.

Cependant, face à la dégradation des comptes publics, le locataire de Matignon a annoncé une feuille de route en rupture avec la philosophie du chef de l’Etat et de ses troupes. Il a plaidé pour “un effort ciblé, limité dans le temps et partagé, dans une exigence de justice fiscale” et demandé “une contribution exceptionnelle aux Français les plus fortunés”. Alors que les choix de ses prédécesseurs sont questionnés face aux difficultés budgétaires, le constat dressé par Michel Barnier, selon lequel les baisses d’impôts ont profité à de nombreux contribuables, est-il juste ?

 

DPG : Michel Barnier annonce “une contribution exceptionnelle”

Depuis l’élection d’Emmanuel Macron, Bercy a remplacé l’ISF par l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) en 2018, mis en place un prélèvement forfaitaire unique sur les revenus du patrimoine la même année, et progressivement supprimé la taxe d’habitation sur les résidences principales pour tous les ménages. Au total, depuis 2017, la baisse des prélèvements obligatoires sur les foyers a coûté 31,2 milliards d’euros par an, selon une évaluation de la Fondation Jean-Jaurès(Nouvelle fenêtre). Cette évaluation inclut la suppression de la taxe d’habitation, la réforme de l’impôt sur le revenu, l’impôt sur la fortune immobilière (IFI), la suppression de la contribution audiovisuelle et les baisses de cotisations sociales sur les indépendants.

Un “effet très homogène” de la fin de la taxe d’habitation

Est-il pour autant vrai que “beaucoup de Français” en ont bénéficié ? La suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales était l’une des mesures phares du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, présentée comme une façon de favoriser le pouvoir d’achat. Elle a d’abord concerné les 80% de foyers fiscaux les plus modestes, avec une baisse de 30% en 2018, puis de 65% en 2019, avant d’être supprimée en 2020. Pour les 20% de contribuables restants, un calendrier similaire a été appliqué entre 2021 et 2023. Depuis le 1er janvier 2023, seuls les propriétaires d’une résidence secondaire continuent de s’acquitter d’une taxe d’habitation.

En 2019, soit un an après le début de la réforme, 24,1 millions de foyers étaient redevables de la taxe d’habitation sur leur résidence principale, selon une note(Nouvelle fenêtre) (PDF) du département des études et des statistiques fiscales du ministère des Finances. Chaque foyer était imposé en moyenne à hauteur de 383 euros.

“Parmi les grandes mesures ayant un effet très homogène sur l’ensemble de la population, il y a la taxe d’habitation”, analyse auprès de franceinfo Paul Dutronc-Postel, économiste à l’Institut de politiques publiques (IPP) et coauteur d’une note d’évaluation(Nouvelle fenêtre) de cette réforme. Pour autant, le bilan de cette mesure semble à relativiser : “Une partie, certes limitée, du gain de pouvoir d’achat a été captée par une augmentation des prix immobiliers et des loyers”, a souligné Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes, lors d’une réunion de la Commission des finances de l’Assemblée nationale(Nouvelle fenêtre) en janvier, s’appuyant sur les conclusions de l’IPP. De tous les cadeaux fiscaux faits aux contribuables français, cette mesure reste la plus coûteuse pour l’Etat, à hauteur de 18,2 milliards d’euros annuels depuis qu’elle est généralisée, selon la Fondation Jean-Jaurès.

La “flat tax” a profité aux plus aisés

Autre mesure à destination des ménages imposables : la création depuis janvier 2018 d’une “flat tax”, un prélèvement forfaitaire unique (PFU)(Nouvelle fenêtre) de 30% sur l’ensemble des revenus issus de l’épargne ou du capital financier hors immobilier (dividendes, loyers perçus, assurances-vie…). Auparavant, les contribuables étaient imposés selon un système plus complexe, combinant un impôt sur le revenu progressif, pouvant aller jusqu’à 45% pour les plus hauts revenus, et des prélèvements sociaux comme la contribution sociale généralisée (CSG). Le contribuable a toutefois le choix de rester imposé selon cet ancien mode de taxation.

La déclaration des revenus 2022 a concerné 40,7 millions de foyers fiscaux, dont seuls 18,2 millions ont payé un impôt sur le revenu, selon la note de la DGFiP. Il n’est toutefois pas précisé combien de foyers ont opté pour le PFU. En 2022, les 0,1% des contribuables les plus aisés ont vu leur niveau de vie augmenter d’environ 3,8% grâce à la “flat tax”, selon une présentation de l’IPP(Nouvelle fenêtre) (PDF).

Bon nombre d’assujettis à l’ISF épargnés par l’IFI

Autre création fiscale sous la présidence d’Emmanuel Macron, l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) concerne les ménages dont le patrimoine immobilier est supérieur à 1,3 million d’euros. En 2023, près de 176 000 foyers s’en sont acquittés, pour un montant de 1,9 milliard d’euros au total, selon une note de la DGFiP(Nouvelle fenêtre) (PDF). Un rendement très inférieur à celui de l’ISF, qui, en 2017, concernait 358 000 foyers fiscaux (soit 1% des contribuables) et avait rapporté à l’Etat 4,2 milliards d’euros, selon la Cour des comptes(Nouvelle fenêtre) (PDF).

“Parmi les foyers s’acquittant de l’ISF en 2017, environ les deux tiers n’étaient plus assujettis à l’IFI en 2018”, soulignait en 2023 un rapport(Nouvelle fenêtre) (PDF) de France Stratégie, organisme rattaché à Matignon chargé d’évaluer les politiques publiques. Selon l’IPP, le top 0,1% des contribuables les plus aisés a vu son niveau de vie augmenter de 2,1% en 2022, grâce au remplacement de l’ISF par l’IFI.

Un “effet positif” global qui masque des disparités

L’Institut des politiques publiques a évalué, dans une note(Nouvelle fenêtre) (PDF) de 2022, les effets des baisses d’impôts, couplées à différentes réformes sociales (hausse des prestations sociales à destination des actifs occupés, revalorisations exceptionnelles de certaines prestations…), décidées lors du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, à destination des ménages. Selon cette note, le “gain moyen de ces mesures pour [l’ensemble des] ménages est de 1,9% du niveau de vie”. “Un effet dû essentiellement à des baisses de prélèvements obligatoires”, précise l’IPP. “En moyenne”, ces mesures ont eu “un effet positif sur le revenu disponible des ménages”, résume l’économiste Paul Dutronc-Postel, coauteur de cette note, qui constate “un niveau de vie plus élevé pour l’ensemble des catégories de la population”.

Cette augmentation, relativement homogène, masque toutefois des disparités aux deux extrémités de l’échelle de redistribution : “Les gains [en termes de niveau de vie] n’ont été que de 0,8% pour les 5% les plus modestes, contre 3,3% pour les 1% les plus aisés”, relève la note de l’IPP. Les chercheurs font état “d’un quart de ménages perdants, et de gains nettement plus forts pour certaines catégories d’individus, notamment les actifs occupés”. Contrairement à la suppression de la taxe d’habitation, qui a bénéficié à l’ensemble des ménages français,“les dispositifs fiscaux sur le capital [comme le PFU et le remplacement de l’ISF par l’IFI] ont des effets très concentrés, notamment sur le top 1% des plus riches”, ajoute Paul Dutronc-Postel.

Ces gains globaux seront-ils effacés par les mesures fiscales projetées par le nouveau gouvernement ? Michel Barnier, qui doit dévoiler son projet de budget pour 2025, a annoncé jeudi 3 octobre une taxation exceptionnelle ciblant les 0,3% des foyers les plus fortunés. Quant au ministre chargé du Budget et des Comptes publics, Laurent Saint-Martin, il a promis mardi 8 octobre qu’il n’y aurait pas de “hausse d’impôt sur le revenu” pour les “classes moyennes”.

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